Bolloré protège notre Police
Bolloré admet avoir bloqué la parution d’un article
lefigaro.fr (avec AFP).
Publié le 04 juin 2007
L’actionnaire
principal du gratuit «Matin Plus» assume la non-publication dans le
quotidien gratuit Matin Plus d’un article relatant les mésaventures
d’un groupe de musiciens Roms aux prises avec la police française.
«Extrêmement désagréable pour la France». C’est la raison invoquée
lundi par le groupe Bolloré, actionnaire majoritaire du gratuit «Matin
Plus», pour empêcher la parution vendredi d’un article dans ses
colonnes.
Matin Plus est issu d’un partenariat entre Bolloré et Le Monde, actionnaire à 30%. Le quotidien du soir fait bénéficier le gratuit d’une sélections d’articles, qui peuvent être issus d’autres journaux du groupe, comme Courrier International.
Vendredi, ce magazine avait sélectionné pour Matin Plus un article relatant les mésaventures d’un groupe de musiciens roms originaires de Hongrie, retenus plusieurs heures par la police française à Roissy alors qu’ils rentraient chez eux. Mais l’article n’est pas paru, remplacé par une page de publicité.
Le chef du service Europe de l’Est de Courrier International,
Alexandre Lévy, a révélé l’affaire sur son blog. Selon lui, la
direction de Bolloré a jugé l’article «offensant pour la police
française». L’auteur de l’article, explique Alexandre Lévy, «se permet
un parallèle cocasse» entre les pratiques policières en France et
celles qui avaient cours du temps du communisme en Hongrie. Cette
comparaison, poursuit Lévy, a poussé Bolloré à une «petite censure,
franche et décomplexée».
Jean-Christophe Thiery, directeur général de Bolloré média, estime que l’accord passé avec le groupe Le Monde stipule «que nous ne touchons jamais aux articles qu'ils nous transmettent. En revanche, nous pouvons décider de les passer ou de ne pas les passer». «C’est la première fois» que Bolloré utilise ce droit», explique-t-il, justifiant cette décision par la ligne éditoriale «neutre» de Matin Plus.
Alexandre Lévy donne une version différente. Pour lui, l’accord entre les deux titres donne à Courrier International une «totale liberté quant aux choix des sujets et des articles traduits».
L'Article en question, le voici.
Parfois, la réalité nous déconcerte
autant que les légendes. Dans la Pologne des années 1970, l'histoire
d'un Polonais qui avait su habilement déjouer les contraintes des
grandes puissances communistes était connue de tous. Celui-ci, après
avoir franchi la frontière russo-polonaise, se rendit à Lvov [en URSS]
avec sa Lada bringuebalante et attira l'attention sur lui en faisant la
tournée des bars pour demander d'une voix tonitruante si quelqu'un
avait de l'or à vendre, en précisant qu'il réglerait en dollars. A son
retour, douaniers, gardes-frontières, policiers en civil et membres
zélés du Komsomol [les jeunesses communistes] l'attendaient –
évidemment – de pied ferme à la frontière. Ils prièrent le camarade
touriste polonais de leur présenter l'or russe acheté au noir. La
fouille corporelle ne donnant rien, les agents fouillèrent sa voiture.
Ils démontèrent d'abord la carrosserie puis, à l'aide d'un chalumeau,
découpèrent le châssis en mille morceaux, sans trouver une once d'or. A
la vue de sa voiture découpée, croyez-vous que notre Polonais se soit
désespéré ? Pas du tout : il savait que, conformément aux lois
soviétiques, on lui devait une réparation pour le préjudice subi. Après
moult négociations, il rentra en Pologne à bord d'une Lada flambant
neuve. En grinçant des dents, certes, les Russes lui présentèrent même
des excuses.
Dans la nuit du 13 au 14 mai dernier, la réalité me
rappela cette légende. Il se trouve que la maison de la culture de
Sablé-sur-Sarthe avait invité le groupe Romengo [groupe de rock rom
vainqueur de la Star Ac' hongroise] pour une série de concerts. Le 9
mai, le groupe de Roms s'était envolé sans encombre vers Paris et, les
jours suivants, avait donné des concerts remarqués. Le public était
enchanté de leur prestation, pour la plus grande gloire de notre pays
et de sa minorité rom.
C'est au retour que l'affaire s'est
gâtée. Pourtant, d'après nos expériences récentes, les pays occidentaux
laissent plus facilement sortir que rentrer les citoyens de pays
problématiques.
A l'inspection des bagages, il apparut que l'un des
étuis de guitare des Roms posait problème. Il contenait un matériau
susceptible d'"exploser" : telle fut l'explication sommaire fournie au
bout de plusieurs heures. Six policiers de l'aéroport examinèrent à
tour de rôle l'étui incriminé. Les autres voyageurs durent descendre de
l'avion, lequel ne put décoller pour Budapest qu'avec un retard de
trois heures – sans les Roms suspects.
La crainte du terrorisme
explique beaucoup de choses, sauf ce genre de procédure illégale et
outrageante. Les policiers de l'aéroport international français ne
parlaient que leur propre langue. On s'en aperçut au moment où un
membre du groupe, étudiant en anglais et en histoire, essaya de
s'entendre avec eux en anglais, en allemand, en italien et en polonais.
Ces policiers ne permirent même pas aux musiciens d'appeler l'ambassade
de Hongrie. Après les avoir tourmentés durant deux heures, on ne sait
pourquoi, comme par un coup de baguette magique, les policiers
disparurent. Auraient-ils décidé que l'étui de guitare n'était plus
explosif ? Aucune excuse ne précéda leur départ. Mais alors, le
capitaine français du vol AF1094 d'Air France suivit le procédé initial
avec une logique implacable : il décida que les voyageurs Rom ne
pouvaient monter à bord de son avion. Il fallut une nouvelle manche de
pourparlers pour que la compagnie valide leurs billets pour un autre
vol. Si le décollage du lendemain était incertain, l'hébergement pour
la nuit l'était davantage. Car ni la police de l'aéroport, à l'origine
de la vexation des Roms innocents, ni Air France ne s'en occupèrent.
Il
y a trente ans, à l'époque brejnévienne, les autorités soviétiques
agissaient de manière plus démocratique que ne l'ont fait, il y a
quelques jours, les fonctionnaires français de notre histoire. On
raconte que le touriste polonais roule toujours dans sa Lada. Laquelle
est plus fiable que la liaison Paris-Budapest d'Air France.
István Kovács
Magyar Hírlap